dimanche 29 septembre 2013

Lecture : Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants


La nouvelle session de CaroLire propose la lecture de ce roman atypique de Mathias Enard, et qui a fait, d'après moi, en grande partie sa renommée.
Il y raconte un épisode de la vie de Michel-Ange, lorsqu'il fut convié par le sultan Bajazet à venir à Constantinople user de son art pour concevoir un pont digne des dieux sur la Corne d'Or. Là, le sculpteur y croisera un amour qu'il n'avait jamais connu, un singe, des éléphants et des contes que lui souffle une mystérieuse chanteuse au corps de déesse.
Il y a bien évidemment une part de fiction dans cette histoire, que nous dévoile ce roman onirique, paré d'une écriture ciselée, qui tend vers une forme de biographie plutôt classique sans qu'elle le soit pour autant. Les chapitres sont courts, et pourraient presque hacher l'histoire, ils s'apparentent cependant à un journal intime, sans que le héros principal en soit l'auteur. C'est assez curieux, ce narrateur omniscient qui nous dévoile ainsi la vie de l'artiste, comme un reportage presque mais sans la froide écriture journalistique, remplacée ici par une poésie pleine de fraîcheur dont on se délecte avec avidité. L'histoire ainsi racontée est entrecoupée par de véritables poèmes adressés au Florentin par une mystérieuse personne dont on devine l'identité aisément. Ils parlent d'un possible amour, de désirs, d'attirances. Ils dévoilent une autre vision que celle du narrateur omniscient, plutôt oriental, plutôt féminin. Cette alternance apporte davantage de richesse à ce "conte", tant par la beauté des mots que par leur suggestion. Le lecteur est ainsi confronté à une double réalité, celle que l'on peut qualifier de diurne, où l'on apprend ses problèmes, son dur labeur, sa vie d'artiste mal reconnue encore à cette époque, et celle plutôt nocturne, plus intime, de l'homme qu'il était avec ses imperfections et ses doutes.

Un très beau roman donc, et une belle découverte de cet auteur dont on a tant entendu parler et qui m'intriguait. À lire, pour s'ouvrir à une autre littérature, jouissive !

lundi 23 septembre 2013

Lecture : L'Éternel


Ce livre m'intriguait beaucoup. Tout d'abord par sa quatrième de couverture, assez succinct et où il est question de mêler vampire et psychanalyse, puis après avoir entendu l'avis d'une amie, qui l'a bien aimé, m'a dit avoir à la fois bien ri et été émue, et enfin après avoir entendu l'avis de mon Jules, qui ne l'a pas du tout aimé.
Ma curiosité éveillée, je me plonge dans sa lecture.

Ionas est un juif, un des nombreux soldats de la guerre 14-18, en Ukraine. Comme de nombreux autres, ce n'est pas vraiment sa guerre, et c'est pour cela qu'avec sa garnison, au sein de laquelle figure son frère Caïn, il se planque dans un endroit reculé, un bateau en cale sèche, où il n'est pas obligé de se battre. Là, son frère et les autres soldats passent leur temps à forniquer avec des femmes de petite vertu, à dormir et manger. Ionas lui, est fiancé à Hiéléna, qui occupe toutes ses pensées, au grand dam de son frère, incapable de comprendre pareille fidélité. Lorsque le campement est débusqué par l'ennemi, Ionas, qui s'est engagé par vertu et honneur, se lance avec rage dans la bataille, mais meurt avec presque tous ses hommes. Caïn, qui a fui le combat, en réchappe et regagne leur ville d'Odessa. Là, il se rend chez les parents de Hiéléna et, ne sachant que faire d'autre, finit par l'épouser et lui faire un enfant. Pendant ce temps, son frère Ionas se réveille sous les cadavres de ses malheureux compagnons morts, avec une faim terrible…

Le début avait l'air pas mal. Sans être transcendant, il avait le mérite d'apporter un peu d'originalité au thème vampirique. Mais très vite le personnage principal du vampire, Ionas, agace. Il se réveille monstre, et refuse sa nouvelle identité : il refuse de tuer ou tue et culpabilise, il souhaite retrouver sa vie d'avant, notamment la femme qu'il aime et qui est désormais celle de son frère. C'est un peu le personnage de Louis dans Entretien avec un vampire, en plus énervant. Toute la première partie raconte comment il tente de lutter contre sa nouvelle nature, en vain.
Quant à la deuxième partie, elle aurait pu relancer l'histoire, lui donner un deuxième souffle et finalement remporter l'adhésion du lecteur. Mais très vite elle s'essouffle. On retombe dans les mêmes travers que la première partie, les personnages qui y sont développés ne le sont pas assez, malgré des idées originales comme le loup-dragou, un homme qui se transforme en loup-garou chaque fois qu'il éprouve du désir pour une femme, ou bien encore l'introduction de H.P. Lovecraft, que l'auteur croque jusqu'à pousser le portrait à la caricature ridicule. Et d'ailleurs, trop ridicule, on n'y croit plus du tout pour finir et ces personnages ainsi introduits semblent gratuits. Ils n'apportent finalement pas grand chose à l'histoire à part cette originalité.
Ne parlons pas de la fin, qui finit en jus de boudin. L'auteur nous allèche en évoquant un mystère à dévoiler. Mais la fin arrive abrupte, et rien n'est dit !
On referme le livre en se demandant le pourquoi de l'histoire. On garde un goût de trop peu pour l'ensemble : trop peu développé pour les personnages et l'intrigue, trop peu de révélations et trop de mystères.
C'est dommage !

lundi 9 septembre 2013

Lecture : Freaks squeele T1


Mon Jules avait emprunté cette BD à la bibliothèque et me l'a vivement conseillée.
Il s'agit d'une découverte assez sympathique d'une bande dessinée aux dessins un peu manga, plutôt comique burlesque et finalement très agréable dans son ensemble. Il y a des parties en noir et blanc et d'autres en couleurs. J'aime beaucoup le dessin, frais, bien léché, pas trop brouillon (on arrive à déceler ce qui se trame dans la scène). Et j'adore l'humour.
L'histoire est celle d'une école pour former des super héros. La plupart des élèves possèdent déjà un don et l'école est là pour leur apprendre à le maîtriser et à l'utiliser au mieux pour devenir une figure héroïque.
Le tome 1 raconte les débuts de trois jeunes élèves qui ont fini dans le même groupe de travail par la force des choses, plus que par affinités : un monstre-loup maladroit, une écervelée qui peut voler et une intello sans réel pouvoir.
Un très bon cocktail pour ceux qui recherchent du pur divertissement, avec une pointe d'originalité en prime.
J'ai déjà commencé le tome 2… !


dimanche 8 septembre 2013

Lecture : Panopticon


Suite au lancement de l'Événement "Rentrée littéraire fantasy" de CaroLire, je me suis lancée dans la lecture de ce roman, vainqueur du sondage qui avait été organisé à cette occasion.
Et je n'ai pas été déçue, loin de là.
Il serait facile de le traiter de curieux roman, de par sa couverture, de par son incipit, et de s'arrêter là. Pour autant, je préfère le caractériser de grand original. Son histoire, en effet, est assez bien trouvée et bien ficelée. Bien plus que cela, les plus curieux d'entre nous découvrirons qu'il s'agit d'une sorte d'uchronie, et que l'auteur a repris l'Histoire et l'a modelée pour un résultat frisant l'illusion. Un comble lorsque l'on apprend que le thème de ce roman est la manipulation, plus particulièrement le magnétisme animal.

Londres, King's Theatre. Alors que le premier Lord du Trésor vient assister à la représentation, surveillé et sa vie gardée par de nombreux hommes, un jeune homme s'approche du lieu. D'apparence insignifiante, il ne semble pas présenter un quelconque danger… au contraire des créatures tout droit sortie de la mythologie qui l'accompagnent et semblent lui obéir. Un véritable massacre s'ensuit, sans que l'on puisse retrouver traces, par la suite, des mystérieux monstres.

Difficile de faire une entrée en matière sans rien dévoiler, tout en donnant envie de le lire. Je reconnais ma maladresse, mais cela ne m'empêchera pas de vous encourager vivement à vous ruer sur ce livre. Cela faisait longtemps qu'un roman ne m'avait tenu ainsi en haleine, un roman récent, de fantasy, qui allie originalité, écriture agréable, et fin satisfaisante. Un très bon cocktail, qui le propulse tout droit dans mes coups de cœur de l'année (rien que ça !).
Le titre même intrigue (rassurez-vous les derniers chapitres l'expliquent), les noms sonnent familiers et se révèlent bien ceux de personnes qui ont réellement existé, et tout ceci baigne dans une ambiance XIXe siècle qui ne pourront que réjouir les amateurs de steampunk. Il n'y a pas d'objets volants ou à vapeur, ni de tour Eiffel, mais c'est bien là ce qui peut aussi être appréciable : l'auteur manie l'Histoire autrement, et à partir d'un fait réel, d'une invention bizarre du passé, il tisse une histoire, intégrant quelques pointes d'imaginaire et de fantastique tout en maintenant un équilibre réaliste tout à fait convainquant. Le lecteur ne voit d'ailleurs pas l'addiction venir et cependant il ne lâche bientôt plus ce grand livre (le format est un peu trop grand à mon goût), tournant les pages sans discontinuer. Enfin, l'auteur a le bon goût d'apporter une conclusion, une fin digne de ce nom, qui permet au lecteur de refermer avec satisfaction l'ouvrage sans regret ni remord.
J'ai passé un excellent moment, et cette histoire aura pour elle d'avoir laissé quelques traces dans ma mémoire. À lire absolument !

lundi 2 septembre 2013

Lecture : La Lune seule le sait


Dans le cadre de la 5e session du Club Sormand, ce roman steampunk de Johan Heliot a été sélectionné.
J'avoue y être un peu pour quelque chose, car il faisait parti des livres que j'ai proposés au vote. Cela faisait pas mal de temps (comptez en années !) qu'il prenait la poussière dans ma bibliothèque et j'ai été bien contente que le vote le rende gagnant de cette session. En plus, pour ne rien gâcher, j'ai la chance de posséder un exemplaire dédicacé par l'auteur (je ne sais pas pourquoi mais j'adore ça !).

Nous sommes à l'aube du XXe siècle, les prussiens ont été battus, Louis Napoléon Bonaparte est empereur des français, et Paris a reçu la visite d'extra-terrestres appelés les Ishkiss. Ces derniers, venus de la Lune, ont conclu une alliance avec l'empereur afin de préserver leur vie l'un l'autre : les uns avaient besoin de notre connaissance de la métallurgie pour les sauver du déclin de leur espèce, l'autre avait besoin de leur science pour ne pas mourir et assurer sa domination et sa tyrannie. Mais la défaite des communards n'a pas réduit à néant le mouvement socialiste et des résistants luttent pour soulever l'Empire : c'est ainsi qu'un de leur plus célèbre membre est dépêché sur la Lune, afin d'y retrouver une autre sommité, la pétroleuse Louise Michel. Car les opposants au régime connaissent désormais pire que le bagne, la déportation sur la Lune, un aller simple vers l'Enfer. Pour anéantir pareille horreur, qui de mieux pour convaincre les nouveaux alliés de l'empereur que celui à l'origine des rêves technologiques les plus fous, Jules Verne lui-même ?

Il s'agit d'un roman de science-fiction, et plus précisément steampunk, et plus précisément encore français. J'insiste sur sa "nationalité" car, comme le précise l'auteur dans la postface qu'il a rédigé au terme de ce livre, cette catégorie donne plus souvent lieu à des récits mettant en scène Londres, Jack l'Eventreur, bref, un univers plutôt britannique, très probablement dû à l'origine même de son nom, "steam" signifiant "vapeur" en anglais. Certes, nous avons aussi nos récits mais la tendance est souvent à l'association de la révolution industrielle qui a définitivement imposée le Royaume-Uni sur l'Europe, avec les grandes figures historiques anglo-saxones de l'époque. C'est donc avec enthousiasme et curiosité que l'on débute la lecture de cette aventure où Jules Verne et Napoléon sont les principaux acteurs.
La première moitié du roman sert à mettre en place les différents éléments de l'histoire : le décor, les personnages principaux, qui est qui et qui fait quoi. On est plongé dans une Europe historique que je trouve assez crédible - mais je tiens à préciser que je suis une quiche en histoire - avec Jules Verne en héros. On aime ou on n'aime pas l'auteur, mais c'est toujours jouissif de voir évoluer celui que l'on tient pour précurseur du genre ! Un peu comme lorsqu'on lit une histoire avec Conan Doyle ou H.G. Wells.
Et là aussi, on se prend au jeu facilement.
Au moment même où l'on pourrait sentir une certaine torpeur s'installer, où le lecteur se demande "bon, ça commence quand vraiment l'action là ?" et bien justement la seconde moitié du roman démarre et ne nous lâche plus. Sans être une action ultra haletante, on a quand même envie de connaître la suite, puis la fin et le dénouement à tout cela.
Quant à la partie extra-terrestre, j'avoue toujours appréhender la manière dont l'auteur va introduire les petits hommes verts, redoutant le ridicule non voulu, ou bien l'illogisme, bref, ce qui perd totalement l'adhésion du lecteur. Rien de cela dans ce récit - de mon avis personnel bien sûr. Je trouve que les Ishkiss sont assez bien introduits. Associés au satellite de notre chère planète, ils sont la touche poétique de ce récit steampunk, associant une complète utopie par leur fonctionnement, autant social que physique. Ils sont décrits comme doués d'une grâce, tant visible lorsqu'ils se déplacent, qu'invisible dans leur façon de communiquer ou même leur système social qui leur vaut leur survie jusqu'à présent. Ils sont véritablement l'incarnation utopique des idéaux de ceux qui luttent contre l'Empire. Cette partie pourra d'ailleurs sembler un peu trop facile, ou même peu crédible à d'autres lecteurs. Mais comme je suis bon public, j'y ai adhéré comme une part indissociable dans la logique du récit.

Pour essayer de résumer mon ressenti, je dirais que j'ai beaucoup apprécié ce roman steampunk, très bien mené, original avec des personnages historiques hauts en couleurs. Peut-être y a-t-il par moment quelques longueurs, ou le récit n'est-il pas aussi haletant qu'il pourrait l'être. C'est ce qui l'empêche d'être un véritable coup de cœur, mais il a le mérite de m'avoir détourné de ma broderie et de m'avoir fait passer un très bon moment ! Faudrait pas non plus demander la Lune, non ? (il fallait que je termine sur cette blague pourrie, c'était obligé !)